2021 - 1200km vers ASSISE et ROME
Le grand moment tant attendu est venu de mettre les pieds dans le plat.
Lac de Viverone |
Chapelle au milieu des rizières |
Champ de riz. Les Alpes |
Irrigation |
Les jours suivants mon organisation s’améliore, je
dompte à peu près mon chariot et la progression est plus satisfaisante. La
confiance revient petit à petit et aussi le plaisir des retrouvailles avec ce beau
pays.
Santhia, Vercelli, Robbio, Mortara, Garlasco, petites villes qui jalonnent mon parcours, autant d’étapes dans la traversée de la plaine du Pô. Les Alpes, au loin mais bien visible, nourrissent cette plaine de son eau salvatrice par le canal Cavour et des milliers de ruisseaux qui répartissent cette mane, d'une manière très organisée et très contrôlée, au bénéfice des agriculteurs. Irrigation de centaines de milliers d’hectares de riz et de maïs, tous les deux assoiffés d’eau, par inondation. On noie les champs et on referme les vannes jusqu’à la prochaine fois. L’eau circule par gravité mais de temps en temps des pompes montées sur tracteur aident l'eau à passer d’un ruisseau à un champ. Quelques chapelles au milieu des rizières pour que la Madre protège les récoltes. J’adore ces journées passées à faire des zig zag au milieu des rizières . Peut-être un vieux tropisme asiatique ?
Ruine et désolation |
Les petits agriculteurs ont été remplacés par de grandes sociétés qui exploitent ces cultures et font de l’Italie le plus grand producteur de riz en Europe. Ils exportent également leur savoir-faire en particulier au Maroc dans la plaine de Rabat, bien connue des chasseurs de bécassines. Malheureusement ce remembrement a désertifié les campagnes et les fermes abandonnées et en ruine ne se comptent plus.
Repos ombragé |
De temps à autre une peupleraie offre un ombrage
rafraîchissant au bord d’un ruisseau. Il fait bon s’y allonger pour reposer ses
pieds et entendre la musique de la brise dans le feuillage.
En arrivant sur le village de Nicorvo, je passe devant le
cimetière pour m’apercevoir qu’à l’entrée des boîtes aux lettres ont été
installées et je m’interroge pour savoir si les intéressés ont fait suivre leur
courrier près de leur dernières demeures ou bien est-ce l’état qui ira jusqu’au
bout de l’absurde et de l'acharnement administratif à vouloir saigner un contribuable récalcitrant tout défunt fut-il. Je soupçone également Amazon de s'accrocher à ses clients jusqu'au bout.
Dans ma poche, je caresse la médaille d’un cher compagnon disparu il y a peu et je pleure son départ dont je suis inconsolable. L’absence de ses yeux couleur de miel et de son regard toujours plein d’amour m’est difficilement supportable. Je redoute le retour à Tourouvre pour passer l’hiver prochain sans lui. Nous étions fusionnels : quand je me blessais au pied c’est lui qui boitait et quand j’ai été souffrant il eut la même maladie quelques semaines plus tard. Tous les deux nous avions sillonné le Perche en long, en large et en travers, nous en connaissions tous les recoins et tous les jours la sacro-sainte promenade dans la forêt derrière la maison. J’y disperserai ses cendres pour que son fantôme continue ses courses derrière chevreuils et sangliers. Un chasseur exceptionnel qui arrêtait des bécassines à 50 mètres. Que de bons moments avec lui dans mon marais de la baie de Somme ! Pour moi il restera irremplaçable, c’était mon trésor. Il s’appelait Casimir.
Place Cavour Vercelli |
Vercelli nous offre une belle statue de l’inévitable Cavour sur la grande place de la ville. Chaque village, chaque ville, a sa place Cavour, sa rue Garibaldi et sa rue Mazzini les trois acteurs de l’unification de l’Italie au 19ème siècle. Garibaldi, le militaire du trio, héros incontournable de l’Italie, icône encensée par tous sauf peut-être par les catholiques du fait de son anticléricalisme virulent et primaire, l'intolérance ayant changé de camp depuis bien longtemps. De mon point de vue, malgré son sens du paraitre et son gout pour les chemises rouges, sa réputation de chef de guerre est largement surfaite car sa campagne dans le sud de l’Italie contre le Royaume des Deux Siciles, l'expédition des Mille a été baclée : il est resté des points de rébellion qu’il n’a pas su résorber et dont on dit que les mafias d’aujourd’hui sont issues.
La réunion du sud avec le reste de l'Italie, achevant ainsi l'union, a fait beaucoup de déçus même parmi les personnes les plus libérales dans le sud: augmentation des impots, conscription obligatoire etc ...
L'union de l'Italie était faite mais aujourd'hui encore qu'en est-il de l'union des italiens ?
Gare de Vercelli |
Pour les voyageurs qui passerait par la gare de Vercelli, il est fortement conseillé d’éviter d’y faire une crise cardiaque parce que quelqu’un a subtilisé le défibrillateur !
Allée d'hibiscus avant d'arriver à Santa Maria di Campo |
Balise capricieuse |
Mural sous un porche. Garlasco |
Village de Villanova d'Ardenghi |
Saint Christophe |
Rivière Ticino |
Dans le petit village de Torre de Negri, une maison tout de suite tape dans l’œil du passant par l’originalité de ses couleurs et de l’arrangement du jardin. Il y a bien un drapeau anglais ce qui explique sûrement la raison de l’incongruité de cet endroit. On dirait un temple hindou du Rajasthan.
Eglise de Mariotto |
Sa seigneurie Le Pô |
Piazza Cavalli Piacenza |
Champs de tomates |
Moissoneuse de pomodori |
Bref la carcasse grince, grogne et renâcle mais avance
pas à pas.
Malgré toute l’énergie, l’enthousiasme, le challenge, je
suis encore très marqué psychologiquement par les énormes difficultés
rencontrées le premier jour et qui ont instillées un certain doute dans cette
affaire.
Petit à petit une routine s’instaure dans le déroulement de mes journées avec un réveil vers 6h, soins des pieds, petit déjeuner et départ pour 5 à 8 heures de marche. Une halte au bout de 2 heures environ ou quand la douleur à l’épaule devient insupportable, pour grignoter quelques biscuits. Dès l’arrivée à l’hébergement une bonne sieste, puis la lessive du jour .
Marcher en Italie c’est aussi le bonheur de rencontrer partout des manifestations de la foi chrétienne : ce sont rarement des calvaires mais plus souvent des invocations pour l’intercession de la Madre. De minuscule et pauvre chapelle trop mignonne, cachée sous des branches, de l’herbe et de vieilles tuiles au bord du sentier perdue dans la forêt.
Ce calvaire dans la montagne au dessus de Castell’Arquo, presqu’une petite église avec cette fresque magnifique en parfait état.
Et tous ces centaines et centaines de témoignages de foi quine peuvent que me porter le long de mon difficile chemin vers Rome !
Puis le jour de la montée vers le col de la Cisa arrive. Je connais bien la difficulté de cette ascension terrible pour l’avoir faite il y a 2 ans. Il fait grand beau, assez frais, les montagnes sont magnifiques (mais très hautes !) et là-haut m’attend un plat de tagliatelles aux cèpes.
Étonnamment le patron de la petite ville de Berceto, perdue dans la montagne, est un français et
plus particulièrement un breton. En 718, Saint Moderane évêque de Rennes, a
décidé d’aller à Rome. Tout d’abord il est passé par Reims pour acheter des
reliques de Saint Rémy.
En arrivant près du col de la Cisa, il a voulu se reposer
et a accroché les reliques à la branche d’un arbre. En repartant il les a
oubliées et ne s’en est aperçu qu’en franchissant le col. Il revient donc sur
ses pas mais la branche de l’arbre en question a poussé miraculeusement rendant
les reliques inaccessibles sauf bien sûr si notre pauvre Moderane s’engage à
laisser ces reliques dans le village le plus proche à savoir Berceto. Une bien
belle histoire !
Pour ma part après le dur passage du col, c'est la descente vertigineuse dans la rocaille vers le hameau de Brevide au fond de la vallée et où je dîne en face de la montagne dont les sommets sont encore inondés de soleil. C'est magnifique.
Depuis Ivrea jusqu'à Fornovo, pendant 250 ou 300 km, je ne rencontre strictement aucun pélerin et les contacts me manquent. Finalement, c'est au pied de la montagne, que je fais connaissance d'un couple assez énigmatique : elle est autrichienne et lui irlandais. Pratiquement impossible de communiquer avec lui tant je ne comprends rien à son accent. Elle me raconte qu'il a été neuf fois à Compostelle par toutes les voies possibles et imaginables. Ce sont donc de solides marcheurs et au bout de quelques jours dans la montagne, ils partent devant.
Je partage une pizza un soir avec un allemand qui est parti depuis le 15 juin de Trèves. Il me paraît à bout de nerf et je lui suggère de faire une halte de quelques jours pour se reposer. Il est au bord du pétage de cable.
Puis une dame danoise, très comme il faut, polyglotte, seule. Peu de contact, elle reste sur son quant à elle.
Rencontre incongrue mais chaleureuse avec deux moines bouddhistes qui vont se perdre dans quelque ashram dans la montagne.
Après une courte journée de marche, dans cette montagne, je tombe sur cette chapelle, dont les vitraux rouges sont dans l'axe du soleil. Cela donne un effet saisissant.
Puis c'est l'arrivée dans la jolie ville de Pontremoli, au carrefour de plusieurs vallées et au bord d'un torrent.
Pontremoli |
C'est le jour du marché et j'y trouve tout ce dont j'avais besoin. Les étals offrent toutes les specialités italiennes et invitent à la gourmandise et à faire un bon repas.
D'un côté de la montagne, vue sur Aulla |
De l'autre vue sur la mer |
Je me rends à l’adresse indiquée sur ma feuille de route
pour mon hébergement de la nuit et je me retrouve en plein milieu de la zone
industrielle où sont rassemblés les exploitants du fameux marbre de Carrare.
Mais d’hôtel que nenni. A l’évidence il y a erreur et je suis obligé de revenir
sur mes pas pendant 2 km pour trouver le bon havre. Conclusions : premièrement
tout le monde a droit à l’erreur mais quand on est à pied elles coûtent très
chères et enfin, à partir de maintenant je vérifie toutes les adresses sur
internet avant de me mettre en route le matin.
Ceci me permet malgré tout de faire une photo de la
montagne devant moi, toute rongée qu’elle est par
l’exploitation du marbre dans d'immenses carrières depuis l'Antiquité.
Montagne de marbre. Carrare |
The weed farm |
On me demande souvent de dater mes articles mais comme je ne fais pas un récit de voyage au jour le jour, que les journaux de voyage sont souvent très ennuyeux, que je ne rédige pas tous les jours, que je fais souvent corrections et retours en arrière, j’aime mieux donner le nom des villes que je traverse, peut être une date de temps en temps et ainsi on peut me suivre au fur et à mesure sur la carte.
Porte San Donato, Lucca |
Il est très difficile de décrire chaque ville et village traversés ou étape. Tous ont un caractère très particulier, qu’il s’agisse de petites rues, de places, d’églises. Le soir tout cela est très animé avec les restaurants qui débordent dans les rues, les cafés sur les piazza, un monde fou s’y presse et la ville renaît pour quelques heures encore. De tant en tant une pépite sort du lot comme Pietrasanta sur le chemin entre Massa et Camaiore. Arrivée hier au soir le 7 septembre à Lucques par la porte San Donato, après une journée rendue difficile par des dénivelés affolants et épuisants. Après 500km, je mérite une journée de repos demain. Il y va d’ailleurs plus de la nécessité que du mérite : je suis à bout, plus de de jus ! Il faut impérativement recharger les batteries.
Très bien installé dans l'auberge de la Lune, en plein centre de la ville historique, je passe une journée délicieuse dans cet endroit sublime. Grasse matinée, réveil à 10h visite de la ville et de ses nombreuses églises et palais : San Michele, San Giusto, San Frediano, San Giovanni, et la Cathédrale San Martino.
Sieste de 2 h puis recherche du Secours Catholique pour y
déposer mon vieux sac à dos, trop petit et douloureux au niveau des lombaires.
Je laisse la foule des touristes et je erre des heures
dans les ruelles et les petites piazzeta adorables. Puis pour finir cette magnifique journée, j’ai pris un billet pour un concert Puccini dans l’église
San Giovanni. Il n’aura échappé à personne que Puccini est natif de Lucca, qui organise un festival annuel en son honneur. Bon je ne suis pas un grand connaisseur de l'opéra italien mais enfin ce fut une formidable et instructive soirée.
Puccini |
La sortie ce matin se fait par la Porte Elisa qui me permet de traverser les remparts considérables protegeant Lucca. Mais de qui cette ville avait-elle besoin de se protéger, ça je n'ai pas très bien compris. En tous les cas, ils ont prévu dans le lourd.
Danielle la québécoise |
Piazza ducale. San Miniato |
Cathédrale de San Miniato |
Chaque moment de la journée du randonneur au long cours a sa tonalité propre. Le matin le marcheur démarre dans des dispositions positives, le corps est tout frais et reposé après une nuit réparatrice. Le pied est vif, l’allure enlevée. L’esprit est bien réveillé par un caffè macchiato préparé par l’hôtesse du lieu : les neurones s’agitent en tous sens avec la même frénésie. Il y a un vrai esprit d’équipe chez les neurones, en principe ils tirent tous dans le même sens. Il fait bon de siffloter une rengaine entendue à la radio, de chanter un cantique, voire d'entonner une bonne marche militaire pour donner une bonne cadence à notre affaire.
C’est le moment où l’œil est bien aiguisé pour accueillir
les belles images que la campagne me propose et Dieu sait les divines qu’offre
l’Italie. Certaines resteront dans les album de photos car l’œil a réagi en un
quart de seconde pour saisir le cliché inoubliable qui illustrera le site web
du voyageur.
Si le bedeau a mis son réveil à l’heure, il aura eu le
temps d’ouvrir les portes de l’église pour permettre aux pèlerins de faire leurs dévotions matinales avant le départ.
L’esprit, toujours alerte dans la fraîcheur du matin, se
laisse aller à philosopher sur le sens de la vie, le sens d'un tel
voyage, de penser à sa famille et aux amis, aux difficultés et aux joies des uns et des
autres. C’est le moment de l'élévation de l'âme et de l’introspection.
Les nombreux oratoires et églises sur le chemin incitent
également à la spiritualité et à la prière.
Cette phase essentielle ne dure malheureusement qu’un
temps, environ deux heures ou dix kilomètres. C’est à dire jusqu’au moment où
une vilaine douleur au petit orteil du pied gauche se réveille et me lancine.
Ou peut-être est-ce ce coussinet entre deux vertèbres qui hurle ? Ou cette
ascension de 3 km presque verticale alors que la température est montée à un
suffocant 35° ? Ou les sangles de ce sac à dos de malheur qui me scient les
épaules ?
Il est temps de redescendre des hauteurs cérébrales pour
gérer des préoccupations plus bassement terrestres et malheureusement plus
douloureuses.
La troisième partie de cette journée de marche, ce sont les 3 derniers kilomètres. Quelque soit la distance parcourue depuis le matin, 10, 20 ou 30km, il y a toujours un problème pour les 3 ultimes. Comme pélerin vers Assise, je ne devrais pas dire ça, mais c'est un calvaire. Je n'en peux plus, mes jambes non plus, mes pieds encore moins, il n'y a que le mental qui permet encore de me traîner jusqu'à l'arrivée dans un état d'exténuation très avancé.
Le nirvana après ces difficultés est d’arriver à l’hébergement, de me jeter sur mon lit et de me réjouir de la merveilleuse journée que je viens de passer.
Monterigioni, la perle de la Toscane |
Sortie de nulle part un château fort impressionnant. Je ne sais pas s’il est habité mais peut-être manque-t-il, malgré tout, de confort moderne. Le coin est pratiquement désert et sa présence me paraît totalement incongrue.
Dans une clairière, une unité de la valeureuse armée italienne est à l’entraînement. Je regarde intrigué. La troupe me paraît faire preuve d’une nonchalance bien contraire au propre d’une activité militaire sérieuse. Je cherche vainement dans le comportement de la troupe un semblant d’attitude martiale voire une posture agressive et guerrière.
Un peu plus loin c’est une autre équipe qui s’entraîne au
maniement de mortiers de 15 pouce. Je crains qu’ils n'utilisent de vraies
munitions car l’exercice ne me paraît pas bien rodé. La trouille au ventre, je
quitte le secteur avec vitesse et précipitation de peur de me faire allumer
suite à une erreur de visée du pointeur.
Nous sommes le 14 septembre et c’est l’arrivée à Sienne, après avoir marché exactement 1 mois pour parcourir 627 km soit la moitié de mon voyage et en temps et en kilomètre. Arès mon installation dans un hôtel superbement décoré, l’hôtel Chiusarelli, il est temps de revoir l’extraordinaire cathédrale de Sienne dont le sol est décoré d’incroyables scènes en marbre. C’est tellement beau, quel talent !
Un dernier au revoir à mes amis pèlerins dans un café de l’unique Piazza del Campo et c’est le moment de rentrer.
Ce matin, 15 septembre, traversée de la ville pour rejoindre la gare, c’est la rentrée des classes et la ville baigne dans une ambiance de chahut assez drôle et bon enfant.
C’est donc pour moi la fin de la Via Francigena, que je
connais bien maintenant au bout du deuxième parcours, pour me lancer dans
l’inconnu à partir de Florence demain. J’en suis content car j’ai la certitude
de pouvoir progresser complètement seul pendant les 4 ou 5 jours nécessaires
pour parcourir les 80 km jusqu’au sanctuaire de la Verna sur la méconnue Via
Ghibellina.
Après-midi à Florence passé à rechercher le point de départ de ma marche demain. Mon hôtel est évidemment de l’autre côté de la ville et il faudra rajouter 3 km aux 21 prévus. Dès que j’approche les sites touristiques, la bonne vieille foule est là, Florence restera Florence. Une incroyable église orthodoxe, dans le style renaissance florentine à proximité de mon hôtel.
Dès que je quitte les berges de l’Arno, ça commence à grimper à l’italienne, c’est à dire tout droit et bien raide. Les chemins et routes en lacet restent à enseigner à l’école nationale des travaux publics.
100 m sous le sommet de mon ascension une voiture passe
et me voyant à la peine, le conducteur s’arrête et m’embarque chez lui pour me
donner une bouteille d’eau qu’il sort du frigidaire. De l’or en barre ! Puis il
me reconduit là où il m’avait pris. Il s’appelle Salah, d’origine marocaine, la gentillesse de ce type c'est inouï !
Arrivé chez mon hôtesse à Rignano sull’Arno bien crevé
avec mes 450 m de dénivelé dans les pattes, elle m’annonce que ce sera encore
pire demain avec 1000 m de dénivelé. Devant ma tête effondrée, elle me propose
de conduire mon sac à la prochaine étape gratuitement.
Voilà deux événements dans la même journée qui une fois
encore montrent l’extrême gentillesse des italiens. En un mois, depuis mon
départ, pas une seule fois je n’ai entendu un mot au dessus de l’autre, de
l’énervement ou de la mauvaise humeur. Les marques de prévenance, de
gentillesse, ne se comptent plus. Ils ne savent pas quoi faire pour faire
plaisir et être accueillants. J’aime beaucoup les italiens. Et je les aime surtout quand ils me proposent pour le diner, à Vallombrosa tout la haut dans la montagne, des raviolis sauce aux cèpes et fourrés aux truffes : à tomber de l'armoire.
Raviolis aux truffes |
Au fond le village de Bibbiena |
Poppi |
La croix du sanctuaire de La Verna |
Saint François reçoit les stigmates |
Cerbaiolo |
Au fond le lac de Montedoglio |
Très-Haut,
Tout-Puissant, bon Seigneur,
à toi les
louanges, la gloire et l’honneur et toute bénédiction.
A toi seul,
Très-Haut, ils conviennent,
et nul homme
n’est digne de te nommer.
Loué
sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures,
spécialement
messire frère soleil,
qui est le
jour, et par lui tu nous illumines.
Et il est
beau et rayonnant avec grande splendeur,
de toi,
Très-Haut, il porte le signe.
Loué
sois-tu, mon Seigneur, pour sœur lune et les étoiles,
dans le ciel
tu les as formées claires, précieuses et belles.
Loué
sois-tu, mon Seigneur, pour frère vent,
et pour
l’air et le nuage et le ciel serein et tous les temps,
par lesquels
à tes créatures tu donnes soutien.
Loué
sois-tu, mon Seigneur, pour sœur eau,
qui est très
utile et humble, et précieuse et chaste.
Loué
sois-tu, mon Seigneur, pour frère feu,
par lequel
tu illumines la nuit,
et il est
beau et joyeux, et robuste et fort.
Loué
sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la terre,
qui nous
soutient et nous gouverne,
et produit
divers fruits avec les fleurs colorées et l’herbe.
Loué sois-tu,
mon Seigneur, pour sœur notre mort corporelle,
à qui nul
homme vivant ne peut échapper.
Louez et
bénissez mon Seigneur,
et
rendez-lui grâces
et servez le
avec grande humilité.
François
d’Assise
Il refugio |
Cette journée du 23 septembre est passée à rejoindre les deux montagnes qui se trouvent de part et d’autre de cette plaine dédiée à la culture du tabac, la Haute Vallée du Tiberina. Étape courte et facile entre Sansepolcro et le village de Citerna. Cet endroit, très sensible aux tremblements de terre, fréquents dans la région, a été très abîmé par celui de 1917. Une petite place et un café, lieu de rendez vous de tous les pèlerins, vers l’heure du déjeuner.
La plaine au tabac |
La Madonna de Citerna |
Pieve di Saddi |
Belle église |
Fresque de la Vierge à l'Enfant |
Je suis |
San Francesco avec un oiseau sur la tête |
Gubbio vue d'en bas |
Gubbio vue d'en haut |
La petite église du Ripe |
avec sa fresque |
Dans ces régions très montagneuses, les terres cultivables sont rares et les agriculteurs sont malgré tout obligés à utiliser des parcelles tellement pentues que chez nous on y ferait paître du bétail ou on les laisserait en jachère. Alors pour le travail des champs, ils utilisent des petits tracteurs à chenilles qui ne travaillent que dans un sens, à la descente et ils remontent à vide. Pour les labours ces tracteurs ne sont équipés de charrues à un, voire deux socs seulement. Évidemment cela ralenti considérablement les activités agricoles mais c’est comme ça et tout le monde semble y trouver son compte.
Parti de bon matin de Valfabbrica, pour les douzes dernier kilomètres vers Assise, je rencontre beaucoup de pèlerins dans cette ultime étape.
Pieve de Coccorano |
Le chemin est jalonné par de nombreuses croix, oratoires et chapelles où l’un et l’autre se recueillent en silence. Pendant quelques kilomètres je me joins à un groupe d’italiens emmenés par leur prêtre qui marchent en priant. Moments de vraie fraternité et d’une forte densité.
Puis au loin dans la brume en apercevant les clochers de la ville, une
forte émotion me gagne. Enfin l’arrivée après tant d’efforts et tant de joies !
Basilique Saint François |
Je
ne comprends pas très bien pourquoi je me fais refouler de la basilique Saint
François et j’en éprouve une certaine irritation. Après 7 semaines de marche, je trouve ça un peu fort de café. Je ne suis pas venu ici après
900 km à pied pour faire du tourisme. Enfin comme il y a au moins une église
dans chaque rue, j’en trouverai bien une qui m’accueillera. Ce sera la
Basilique di Santa Chiara, de Sainte Claire.
Basilique Sainte Claire |
Il y a quatorze ans, alors que tout était perdu, Dieu m’a fait le cadeau extraordinaire d’une deuxième vie dont chaque journée a été une remplie par ce qui m'a semblé une vie entière. J’en ai tellement profité mais surtout j’espère en avoir été digne. Alors aujourd’hui dans cette église, dans le silence de mon coeur, dans la louange infinie, je la Lui offre, je la Lui rends. Merci ! Merci ! Merci !
Giovanni
di Pietro Bernardone est né à Assise en 1181 dans une riche famille de drapier.
En l’absence de son père, parti en France pour ses affaires, sa mère l’a fait
baptiser sous le nom de Giovanni, mais à son retour en souvenir d’un voyage
très fructueux, il décida de lui donner le nom de François.
Ce dernier eut une enfance protégée et une adolescence assez dissipée. Il fut très marqué pendant sa jeunesse par la littérature chevaleresque qui était diffusée dans les cités italiennes et qui offrait des modèles et des songes aux jeunes gens. François rêvait de gloire militaire et cherchait par ascension sociale à sortir ainsi de son état de bourgeois pour devenir chevalier. L’occasion lui en a été donné par le besoin en hommes d’arme par les nobles et les villes qui n’arrêtaient pas de se chamailler à cette époque là. Malheureusement pour lui il fut fait prisonnier lors de ces combats et probablement contracta la tuberculose pendant cette année d’incarcération.
Retour à Assise, très penaud. |
. Libéré grâce à l’intervention voire à la fortune de
son père, c’est à son retour à Assise, tout penaud, qu'il abandonna complètement ses projets chevaleresques et qu’il commença à changer de vie et à
fréquenter les églises : une visite dans une léproserie est le moment où,
probablement, il décida de se consacrer à l’Eglise et aux pauvres. Il a voulu
par là signifier son désir de voir l'Église retourner à sa mission
première : être pauvre parmi les pauvres suivant ainsi le vieil adage
« suivre nu le Christ nu ». Malheureusement au niveau de la méthode
il y a un problème car pour les indigents, la pauvreté et la misère sont des
états dont ils ne souhaitent qu’une chose c’est de se sortir à tout prix. De
choisir délibérément la pauvreté n’est probablement pas le moyen de les aider à
s’en sortir si ce n’est pour leur apporter un certain réconfort. Comme disait
un de mes amis un pays pauvre ce n’est pas un pays où il n’y a que des pauvres,
c’est un pays où il n’y a pas de riches.
En
finançant construction d’églises et aumônes, par des prélèvements sur la
fortune de son père sans trop le prévenir, ce dernier finit par lui intenter un
procès qu’il gagna. Vivant comme un indigent, et il réunit autour de lui une
communauté d’hommes qui seront les premiers membres de l’ordre des
franciscains. Plus tard il s’est retrouvé en décalage avec sa communauté qui
avait eu tendance à s’enfermer dans des monastères ou à se tourner vers
l’enseignement, alors que lui préconisait un sacerdoce ouvert et dans la vie.
Il se consacra alors à écrire la règle de l’ordre.
A sa
mort ils seront 2 ou 3000 disciples de François.
Saint
François d’Assise est un personnage d’une grande importance pour les
catholiques du monde entier mais évidemment particulièrement en Italie
dont il est le Saint Patron. Assise est un lieu de pèlerinage considérable, ce
dont j’ai pu juger par le nombre important de pélerins de multiples nationalités
rencontrés depuis dix jours sur la fameuse Via di Francesco.
Saint
François est souvent représenté sur des tableaux ou des sculptures avec un loup
à ses pieds. Ceci vient d’un miracle ayant eut lieu à Gubbio, où il réussit à
calmer un loup qui terrorisait la ville. Pour signifier qu’il acceptait le
‘contrat’ que François lui proposait, le loup posa sa patte sur sa main et
l’affaire ainsi conclue, la paix revint sur la ville.
Il est décédé en 1226.
Quelques photos de la ville d'Assise : petites rues, palais, églises, fortifications, marchands du temple, touristes... Malheureusement comme à Compostelle ou à Rome je n'ai pas accroché à Assise. Je dois avoir un problème avec la foule, la grandeur et le convenu.
Lorsque je me trouvais en Toscane, je discutais avec la propriétaire d’un hôtel et lui racontais que Monteriggioni était sûrement la perle de la Toscane et même de l’Italie. Elle m’avait alors répondu que des Monteriggioni, il y en avait des centaines dans son pays. Effectivement aujourd’hui sur le chemin entre Trevi et Portora, je suis encore tombé sur une merveille à savoir le hameau fortifié de Compello Alto. Pour aller visiter cet endroit, j’ai été obligé de quitter mon itinéraire mais cela valait incroyablement le coup. Petit hameau, peut-être 10 ou 15 habitants complètement fortifié. Évidemment aucun magasin, il n’y a plus que des personnes âgées qui y résident. Des petites maisons de poupée. J’ai adoré.
Compello Alto |
J'en connais un que n'aurait pas aimé l'Italie car il n'était bien que sur SON divan.
Mais comment foi et émotion doivent elles être liées ?
Aujourd'hui le 5 octobre je viens de passer les 1000 km depuis Ivrea et je n'en suis pas peu fier. La ville de Spoleto où je fais étape est magnifique et je pourrais faire un album de 1000 photos tellement il y a de belles choses à voir et à montrer. Mais voilà je suis vers la fin de mon voyage et la fatigue voire beaucoup de flemme me font penser que la foule immense de mes lecteurs viendra, le moment venu, admirer par elle-même la beauté des lieux.
Sous la pluie ... |
et le soleil. |
"Après le travail, le repos est bienvenu" |
Etape au bord du lac de Piediluco d'où je vois le petit village de Labro, accroché sur une montagne voisine. Evidemment le lendemain je dois grimper cette montagne pour rejoindre ce village d'où j'ai un panorama époustouflant, d'un coté sur le lac et de l'autre sur les montagnes que je dois traverser plus tard dans l'après midi et dont la vue ne me rassure pas du tout.
Village de Labro |
Lac de Piediluco |
Au loin ces belles montagnes si difficiles |
Au début de ce voyage je pensais et je l’avais écrit,
qu’après Assise, ce serait une douce descente vers Rome. Erreur. Les montagnes
sont toujours là les unes après les autres qu’il faut bien franchir. L’étape
d’aujourd’hui, de Poggio San Lorenzo à Ponticelli est épouvantable de
difficultés avec des pentes de 25 à 30 %. Pour deux kilomètres de moins que celle d’hier, je mets une heure
de plus. J’arrive a l’étape épuisé, ko debout. J’y retrouve mon ami américain Adam, que
je croise et recroise depuis quelques jours et nous allons nous remonter le
moral au seul bar du village. Les bières défiles, nous commençons à dire des
bêtises. Tous va bien, tout va mieux.
Et c’est le dernier matin. Avant de partir pour cette ultime étape , je m’allonge quelques instants sur le lit de ma chambre d’hôte
en banlieue de Rome et une vague d’ émotions me bouleverse . La joie d’arriver
au bout d’un incroyable et magnifique voyage, la fierté d’avoir relevé un défi
physique complètement insensé, le bonheur de retrouver les miens demain après
midi et aussi une grande tristesse de quitter ce beau pays qui m’a apporté
tellement de moments exceptionnels et de rencontres si simples mais si
authentiques et si fortes. Que de souvenirs !
Seigneur Jesus merci pour cette nouvelle journée !
Aide moi à la vivre comme si c’était mon unique journée .
Aide moi à agir devant ton regard aujourd’hui !
Je t’offre chacune de mes pensées, paroles et actions.
Sainte Vierge Marie, je t'en prie, porte à ton Fils mon offrande de cette journée !
Depuis quelques jours mon corps m'envoie des signaux pour me dire qu'il faut arrêter, qu'il ne faut pas aller au delà de la limite autorisée. 71 ans , 1200 km, c'est magnifique mais je n'irai pas plus loin.
Puis c’est la traversée de Rome, sale comme une décharge publique. Mon itinéraire me fait passer le long de la rivière et à travers quelques parcs pour éviter les grandes avenues. C’est immonde, des détritus partout sur le bord des rues, dans les fossés aucune voirie. Une honte !
Enfin l’arrivée sur la
place Saint Pierre, le terme de mon voyage. Je ne sais pas si c’est la sueur de
ma marche matinale qui me passe dans les yeux ou peut-être une petite larme
d’émotion. C’est un moment très très fort. Recueillement et louanges.
Installation pour une nuit dans une chambre d’hôte
derrière et contre le Vatican. Si je vois le Pape je peux lui faire coucou
depuis la fenêtre de ma chambre. Mais je suis trop épuisé et j'essaie de dormir en vain l'esprit traversé de tant d'émotions, de souvenirs et de quelques douleurs également.
La porte du musée du Vatican depuis ma chambre |
Avant la fermeture je me précipite dans la Basilique Saint Pierre et selon le souhait de ma cousine Christine qui vient de perdre son mari, je me recueille devant l'extraordinaire Pieta de Michel-Ange tout de suite à droite de l'entrée : sublime monument de foi et de beauté. Le visage de la Vierge parait bien jeune alors qu'au moment de la mort de Jésus elle devait avoir cinquante ans environ. Michel-Ange donne plus d'importance à la beauté incomparable de la Vierge qu'à sa douleur et ainsi se démarque de l'image de la Madre Dolorosa, habituel dans d'innombrables autres Pieta.
Demain l’avion pour rentrer à Paris et retour à ma petite vie de retraité. L'Italie, les italiens vont me manquer. Il faudra que je revienne vite. Déjà j'ai une petite idée de mes prochaines aventures italiennes mais il me faudra encore beaucoup de travail de préparation pour un itinéraire très ancien mais tombé dans l'oubli depuis des siècles. Je partirai à la découverte du sud de l'Italie.
A piu dopo !