VIA FRANCIGENA 2019 - ITALIA BELLISSIMA - 1000 km per Roma
Vallée d'Aoste
Au col du grand Saint Bernard, je me trouve à cheval sur deux frontières : celle entre la Suisse et l’Italie puis celle entre le ciel et la terre, mais à cet instant, transporté par un certain élan ou affaibli par la rareté de l’oxygène, je me sens plutôt du côté du ciel. Autrefois, il y a bien longtemps, des religieux ont pensé se rapprocher de Dieu en construisant à cet endroit, dans la haute montagne, un monastère pour profiter du silence et de la paix, indispensable au recueillement. C’est vrai qu’en hiver à 3000m d’altitude, leurs prières ne devaient pas être tellement interrompues par le passage des voyageurs. Sauf peut-être pour apporter gîte et secours aux pèlerins égarés. Pour les aider dans cette tâche ils avaient sélectionné et élevé une race de chien, le fameux Saint-Bernard, puissant et courageux, qui étaient bien adaptés au froid et à la montagne. Cet élevage perdure encore aujourd’hui plus pour la préservation de la race que pour le sauvetage en montagne. De nos jours les hélicoptères des unités de Carabinieri sont sûrement plus efficaces et rapides.
Le col du Grand Saint-Bernard était le passage obligé pour tous les pèlerins qui venaient du nord de l’Europe en route vers Rome pour se recueillir sur le tombeau de Saint Pierre voire s’entretenir avec le Pape. A commencer par l’évêque de Canterbury, un certain Sigeric, qui, au Moyen-Âge, en 990 précisément, aurait pris cette route qui est devenue plus tard la Via Francigena, le chemin des Francs. Ce même chemin va me mener à mon tour jusqu’à Rome que j’atteindrai dans deux mois. Je n’ai pas de dévotion particulière pour Sigeric dont j’ai quelques doutes sur la réalité. À tort d’ailleurs puisqu’il a, paraît-il, raconté par écrit les 79 étapes de son voyage de retour. Mais enfin je me méfie toujours des histoires religieuses du Moyen-Âge dont la plupart tiennent plus de la légende que de la vérité historique. Mais les légendes ont le mérite de raconter des histoires édifiantes pour les croyants et de les conforter dans leur foi. Même si parfois la vérité et la raison ne font pas bon ménage, cela n’est pas d’une grande importance.
La cohue des touristes, le bruit, les
voitures, rendent tout recueillement impossible. Cet endroit est noir de monde
et j’ai hâte de me mettre en route, de retrouver ma solitude. Partir, partir,
au plus vite ! Puis ce sont les adieux dans la tendresse partagée,
Béatrice plonge sur la Suisse par le versant nord du col et moi plus lentement
par le versant sud vers la vallée d’Aoste et l’Italie.
Que c’est difficile de descendre ces
dénivellations vertigineuses dans la pierraille ! Les rochers
se décrochent du sol, glissent et dévalent la pente. Gare aux randonneurs se
trouvant plus bas. J’ai quelques difficultés à garder l’équilibre sur ce sol
chaotique et mouvant. Les genoux, les hanches souffrent terriblement. Les
pieds se tordent dans tous les sens. Mais même si les articulations gémissent
sous la torture, la carcasse tient bon. Huit mois d’entrainement en salle de
gym 3 fois par semaine, cela finit par entretenir la forme et assouplir les ligaments. Malgré tout, physiquement, j’envisage la suite des
événements avec sérénité. Dans les rochers le balisage
du sentier est approximatif sans toutefois qu’il soit possible de me perdre
grâce à la trace GPS de la Via Francigena sur mon téléphone portable : il
m’envoie un signal sonore dès que je m’en écarte de plus de deux mètres. Résultat,
plus besoin de carte en papier, la technologie a des côtés magiques qui
simplifie tellement la vie du randonneur. Bien entendu la réussite d'une telle entreprise passe par les soins quotidiens des pieds le matin au départ et le soir à l'arrivée.
Rejoindre Aoste au fond de la vallée me prend
2 jours dans un environnement cartepostalesque.
Le budget du transport de mon bagage d’étape en étape jusqu’à Rome étant bien trop onéreux (cela aurait représenté le cout d’une course en taxi pour 1000km), j’ai décidé de porter moi-même mon sac ce qui représente un énorme chalenge supplémentaire. Normalement on considère que le port d’un sac à dos de 15 kg représente l’équivalent d’un effort de 10 km de marche en plus, ce qui est considérable pour une moyenne de 25km par jour. Malgré tout j’accepte volontiers cette contrainte avec le sentiment, en portant ce sac, de réaliser un voyage vraiment complet. Maintenant il faudra apprendre à gérer le poids du sac sur mon épaule de gauche, brisée à plusieurs reprises lors de mes voltiges en moto.
Plus je descends dans la vallée, plus
je me sens écrasé par la magnificence des montagnes autour de moi. Elles sont
grandioses bien sûr, le panorama est somptueux, mais tout cela est finalement
trop imposant et me donne l’impression que je vais étouffer. Les marmottes et
les quelques chevreuils que je surprends, ne semblent pas aussi oppressés que
moi et batifolent sur les versants ensoleillés. En arrivant à Aoste, c’est la
fête dans la ville et au milieu de la foule, je suis rassuré, enfin, de ne pas
être le seul grain de poussière au milieu de la majesté et de la puissance qui
m’entoure.
La vallée d’Aoste est longue de 70 km environ soit à peu près une semaine de marche au pas du sénateur. Cela serait tellement plus facile de suivre le fond de la vallée jusqu’au bout entre la route, l’autoroute et la voie ferrée : c’est plat et ça descend doucement vers la plaine du Po. Mais au lieu de cela, le crétin qui a dessiné l’itinéraire me fait perpétuellement monter et descendre le long du flanc gauche de la vallée : les dénivelés sont vertigineux et je souffre. Entre mes dents j’insulte ce sentier et tout le peuple italien de me traiter de cette manière. Même Sa Sainteté le pape fait l’objet de mon irritation tenace et ridicule. Si les montées sont épuisantes, les descentes sont également difficiles pour les articulations des genoux dans les pierres du chemin. Dans ces conditions je fais à peine 15 km par jour qui me paraissent, à l’arrivée à l’étape, comme si j’en avais fait 50. Je suis azimuté de fatigue. Mais bien sûr il y a des compensations : dès que je sors des zones boisées, j’ai des vues incroyables sur la vallée et sur l’autre flan de la montagne. Des forteresses, en plus ou moins bon état, ont été construites au cours des siècles sur des pitons rocheux de part et d’autre de la vallée pour garder et protéger la population des envahisseurs qui, à cet endroit, ne pouvaient venir que de France. Ma présence est, malgré tout, beaucoup plus pacifique que celle des armées napoléoniennes il y a 200 ans.
Si la vallée d’Aoste est francophone, ce qui est quand même une particularité inouïe, ses habitants, au-delà de la langue, ont gardé un comportement typiquement gallique, je ne suis pas vraiment dépaysé : l’accueil dans les hébergements est à peine aimable, les gens renfrognés, les randonneurs croisés sur le chemin ne rendent jamais les salutations comme c’est l’usage. Bref tout ce que l’on déplore en permanence de l’autre côté de ces imposantes montagnes, là-bas en France !
Toutes ces bonnes choses ont une fin car quelques kilomètres après Pont-Sainte Marie, enfin j’arrive en Italie, la vraie. Une autre aventure commence.
LA
PLAINE DU PO
-
Cammino fino da Roma.
-
Tu sei un pellegrino ?
-
Si, certo
-
Ti auguro un buon viaggo, pellegrino !
Dès qu’on arrive en Italie, tout change. On a l’impression d’exister. Les gens vous interpellent, ont sincèrement l’air de s’intéresser à vous et votre voyage. Sourire, spontanéité, accueil. Les petits vieux, sur le pas de leur porte, assis sur des fauteuils un peu délabrés recouverts d’une grossière couverture en patchwork de laine, m’interpellent et la conversation s’instaure. Je les laisse discourir ce qui leur convient très bien. Ils me racontent des histoires interminables. Je ne comprends rien mais je ris bien volontiers avec eux et ça a l’air de leur plaire. C’est un vrai bonheur. L’enchantement permanent commence là. Je sens que tout ça va me plaire énormément. Le chemin me fait passer entre Turin et Milan et jusqu’à cette ligne je suis dans le Piémont avec encore quelques belles grimpettes. Mon sac à dos me fait un peu mal à l’épaule mais j’avance bien, tellement heureux de cette aventure. Ivrea, Santhia, Vercelli, des petites villes avec leurs quartiers anciens, leurs grandes places entourées de somptueux palais où la foule de la fin d’après-midi se presse dans les cafés.
Au
petit matin je quitte la ville de Santhia, par la rue principale, puis par une
rue qui traverse le quartier pavillonnaire et enfin par un chemin qui s’avance
dans la campagne. Quelques centaines de mètres plus loin quelques voitures sont
garées au bord du chemin prés de vilaines serres plastifiées. Les gens font la
queue devant une table où la maraichère présente de magnifiques fruits et
légumes. Je m’avance pour admirer ce bel étalage puis reprend mon chemin. Au
bout d’une trentaine de mètres j’entends quelqu’un qui coure derrière moi et
quand je me retourne, je vois la maraichère qui s’approche les mains pleines de
fruits qu’elle m’offre. Il n’en faut pas plus pour que, là tout de suite, à
l’instant, je tombe complètement amoureux de ce pays. C’est le coup de foudre
absolu. Je sens par la même occasion la main de Dieu posée sur moi et je suis
sur maintenant qu’avec un tel parrainage j’arriverai bien à Rome au bout du
chemin vers Lui. Pendant de longues heures je serai bouleversé par ce geste si
simple et pourtant si extraordinaire.
Puis arrivé à Vercelli, après quelques repos, je pars visiter la ville et je croise de nombreux jeunes africains qui font la manche dans la rue principale. L’un deux me dit qu’il est du Nigéria et que son rêve est de se rendre en Angleterre. Le pauvre n’est pas au bout de ses peines. Le lendemain est une très longue journée de marche aussi je me mets en route vers 6 h du matin. A la sortie de la ville, je croise un autre jeune homme africain qui, dès qu’il me voit, change de trottoir pour venir à ma rencontre. Evidemment il me demande de l’argent et irrité je lui fais un petit discours sur le Nigeria, le pays le plus riche de l’Afrique, gorgé de pétrole, gangréné par l’incompétence et la corruption. Puis je le plante là. Un kilomètre plus loin, je suis atterré quand je réalise l’abomination de ce que je viens de faire. La veille c’était moi l’étranger à qui la maraichère a donné des fruits et moi je viens de virer comme un malpropre un jeune africain en détresse. Je suis tellement assommé par la culpabilité que pendant trois jours je suis incapable de prier. Le dimanche suivant à la sortie de la messe à la cathédrale de Pavie, pour me rattraper, je donnerai un gros billet à un autre migrant africain. Il me regarde, complètement sidéré de cette aubaine tombée du ciel. Il n’en croyait pas ses pauvres yeux dans lesquels étaient écrits les mots « espoir et angoisse». Ce rattrapage n’effacera pas le malaise que je ressens encore aujourd’hui en repensant à cet incident.
Un chemin qui s’engage sur plusieurs kilomètres dans une toute petite vallée quelque part au sud de Milan. Il fait doux, l’air est pur, je marche allégrement vers Rome. Je suis bien, j’adore cette aventure. Ce chemin de sable blanc, cette campagne magnifique, un temps de septembre beau et frais, me font apprécier la chance dont je bénéficie d’être là. Soudain les cloches d’une église carillonnent au loin, très loin. Plus j’avance plus le son devient plus clair et plus mon sac à dos devient léger. C’est tellement beau. Mon âme est prise dans un tsunami de ferveur, mes prières emportées par cette musique divine. Des instants d’une intensité incroyable ! Puis au bout du chemin je la vois enfin toute droite au sommet d’une petite colline. C’est Santa Maria Assunta, Assomption de Marie, l’église du village de Costa de Nobili. Ces cloches sur ce chemin ! Moments précieux, inoubliables !
Puis c’est la plaine du Po avec ses rizières et
ses champs de tomates à pertes de vue. La région est très arrosée par les
innombrables rivières qui descendent des Alpes. La campagne est sillonnée de
canaux d’irrigation, de flaques et de mares où se reproduisent des milliards
de moustiques dont quelques millions s’en donnent à cœur joie sur ma peau. Ça
et là quelques châteaux, pas tous en bon état, qui dénote de la prospérité qui
régnait déjà au 17 et 18ème siècle dans cette incroyable plaine du Pô. On me
raconte que la plupart des propriétaires aujourd’hui ne s’occupent plus de
leurs terres mais habitent les beaux quartiers de Milan.
Quelle est belle la campagne italienne en cette somptueuse journée ! La riche plaine du Pô n’est pas monotone, tant de choses à voir, les cultures, les animaux. La culture du riz ainsi que celle des tomates y sont prédominantes. Le chemin est plat, régulier, très ‘déroulant’, j’avance vite. Le rêve ! Encore quelques kilomètres avant l’arrivée à l’étape du jour dans la ville de Mortara mais auparavant je dois passer par le petit hameau de Campo. Là, une autre pépite comme l’Italie en possède tant : l’église Santa Maria del Campo. Avant d’y rentrer, pour prolonger le plaisir, je m’installe sur le banc prévu pour les pèlerins sur le petit parvis de l’église et je savoure. Une vieille dame m’explique que grâce à cette église, des miracles se sont produits dans le village : des histoires qui se racontent de génération en génération depuis la nuit des temps. A l’intérieur, des fresques murales simples mais si belles. Au-dessus de l’autel une peinture extraordinaire de la Vierge à l’Enfant. Une vague de bonheur remplit mon cœur et soudain je baigne dans une sorte d’euphorie. Cette petite église appelle le recueillement et la louange. Merci, merci, merci mon Dieu ! Quelle chance inouïe ai-je d’être là, de vivre ces moments extraordinaires !
Ma routine est pratiquement toujours la même tous les jours. Lever vers 6 ou 7 h et départ après la colazione pour une journée de 20 à 25 km de marche. Arrivée à l’étape en début d’après-midi, puis sieste, visite de la ville sans oublier le sacro saint gelato, dîner et coucher tôt.
Quelques jours avant d’arriver à Piacenza, alors que je marche allègrement sur la plaine du Pô, je longe sur ma droite à quelques dizaines de kilomètres, la masse sombre d’une montagne qui ne me dit rien qui vaille : c’est le début de la chaîne des Apennins.
Je la regarde furtivement avec beaucoup d’appréhension,
pas trop pressé d’en faire l’ascension, tout en sachant qu’il va falloir y
passer un jour ou l’autre. A un certain point mon chemin va obligatoirement
devoir traverser cette chaîne pour se rapprocher de la mer Méditerranée.
Sur les berges du Pô, à l’ombre des peupliers, en pleine nature je m’endors sur un banc pendant deux petites heures en attendant qu’un batelier se présente pour traverser le fleuve. Quels moments délicieux ! Le bruissement de la brise dans les feuilles des arbres joue une musique apaisante et libéré de la pesanteur terrestre mon esprit s’envole. Mais quel bonheur, ces instants au bord du Pô, seul et libre !
Le
bateau arrive enfin et ne m’inspire aucune confiance. J’ai une trouille bleue.
Le batelier, un bavard invétéré, me saoule de sa conversation que, tétanisé par
l’angoisse, je fais semblant d’écouter.
Puis après les deux merveilles de Piacenza et Fidenza, les choses sérieuses commencent avec l’approche des Apennins. Tout de suite après Fornovo, ça commence à grimper et à grimper très dur. Le chemin, plein de grosses pierres, est pratiquement en ligne droite tout le temps, les lacets sont inconnus. Avec le sac a dos qui tire sur les épaules la progression est très lente mais mètre après mètre dans la douleur, en serrant les dents, je progresse jusqu’au Passo della Cisa (col de la Cisa). Puis dans la descente vers Berceto je prends trois orages l’un à la suite de l’autre et à l’arrivée je fais des flaques dans la réception de l’hôtel à la consternation de mon hôtesse. Malgré tout avec la gentillesse typique italienne, elle me promet un bon dîner pour me réconforter. Et elle n’avait pas tort : avec ce qu’elle me sert on touche au sublime ! Des tagliatelles ai porcini, des tagliatelles aux cèpes. C’est à pleurer tellement c’est bon.
Puis le lendemain plus bas dans la montagne, dans le hameau de Previde, je dînerai plus frugalement. Mais dans le jardin de mes hôtes, en bordure de la forêt, un jeune chevrillard broute allègrement les rosiers de la signora à 5 mètres de moi. Je dîne donc en très bonne compagnie et je passe une soirée inouïe à admirer ce bel animal. Comment les chasseurs (dont je fais partie) peuvent-ils tuer ces animaux si gracieux, si beaux !
Depuis le départ du col du Grand Saint Bernard, mon chemin est jalonné par d’innombrables calvaires, oratoires et lieux de recueillement. A la croisée des chemins, dans les forêts, dans les anfractuosités de rochers, il en a partout. Certains sont plutôt formels, d’autres tous simples et attachants. Ils sont bien vivants, avec des fleurs fraîches au pied des calvaires et des statuettes de la Vierge Marie, des chapelets accrochés ça et là aux branches des arbres des forêts. Pour quelqu’un qui fait un pèlerinage, cette incitation permanente à la prière est une bénédiction. Cette croix posée au bord d'un sentier dans les Apennins, me marquera par sa force jusqu'à la fin de mon voyage; elle me bouleverse encore aujourd'hui. Malheureusement je ne peux me souvenir de l’endroit exact, mais je me souviens juste de petites coquilles de noix à l’intérieur desquelles quelqu’un avait sculpté une crèche microscopique. Il y en avait une dizaine sur la table de jardin d’une maison située au bord du chemin. Comment ne pas aimer ce pays ?
Après
l’étape d’Aula (altitude 60 m), ville rasée par les bombardements alliés en
1944, la traversée du Monte Grosso, dont l’altitude culmine à 660 mètres, est un
vrai chalenge pour le randonneur. Sur quelques kilomètres un dénivelé presque
vertical que je franchis, le souffle court et les muscles des jambes tétanisés
par les crampes. Mais une fois arrivée au sommet, la récompense est
sublime : après 500 km de marche depuis le 18 août, première vue sur la
mer Méditerranée, là-bas à une trentaine de kilomètres. C’est tout juste somptueux. Dans ces
montagnes je viens de passer la frontière entre la Ligurie et la Toscane. Cette
dernière s’annonce plus que prometteuse. Je pose mon sac, et m’assois sur une
souche pour me régaler de ce pays merveilleux. Entre ma position et la mer, en
bas de la montagne, toute blanche, la ville de Sarzana qui sera mon étape du
jour. Sarzana, une autre merveille. J’ai une petite chambre dont la fenêtre
donne sur la place principale, à 30 m de la cathédrale. C’est magnifique. Je
voudrais rester plus longtemps. J’adore Sarzana et l’Italie toute entière. Pendant
ce voyage, je passe en permanence d’émerveillement en enchantement.
Après avoir passé Carrare et ses gigantesques carrières de marbre qui sont exploité depuis 3000 ans, nouvelle étape à Massa où je suis accueilli dans un B&B superbe : tout est arrangé avec goût et confort. Et comme partout un accueil et une gentillesse exceptionnel. Le lendemain matin je rejoins la salle du petit déjeuner que je partage avec deux australiennes. Je ne sais comment notre conversation s’oriente vers l’Afrique lorsque l’une d’elle me dit qu’une de ses amies a traversé ce continent en moto il y a 2 ans et s’y est d’ailleurs cassé la jambe dans un accident. Une sonnette se déclenche dans ma tête et je lui sors tout de go le nom de sa copine. Là j’ai cru qu’elle allait tomber de sa chaise. En effet Cynthia, puisqu’il s’agit de Cynthia Bennett s’est crashée avec sa moto juste devant moi dans les montagnes du Simien au nord-est de l’Ethiopie sur la très mauvaise piste de Lalibela. Heureuse rencontre avec mes deux nouvelles amies avec lesquelles nous nous recroiserons au gré des collines de la Toscane jusqu’à Sienne.
TOSCANE
Les
villes et les villages se succèdent, Lucques, Altopascio, San Miniato, San
Geminiano, etc . . . Tous plus
merveilleux les uns que les autres, petites rues pleines de charme, églises
magnifiques, monuments, peintures, à tous les coins de rue des manifestations des
talents innombrables des italiens.
Puis-je un instant rappeler que pendant l’antiquité alors que nos ancêtres les gaulois se nourrissaient de glands dans les forêts, la vie des latins était déjà animée par des artistes, philosophes, architectes incomparables et un système de société sophistiqué dont le modèle a perduré au fil des siècles. Ils avaient donc beaucoup d’avance sur nous et cela devrait nous inciter, nous les français à faire preuve de la plus grande humilité dans nos relations avec nos cousins italiens. Un jour, alors qu’une pélerine italienne, s’étonnait que, français, je lui fasse part de mes impressions sur la beauté de son pays, je lui répondais que le talent, la beauté étaient des valeurs universelles qui ne connaissaient pas les frontières et que le nationalisme n’avait rien à voir là-dedans. Ce qui est beau à Rome, l’est également à Paris.
Il faut ajouter qu’en Toscane l’accès à toutes ces magnificences, est un challenge physique considérable vu la particularité du relief fait de collines extrêmement abruptes qu’il faut gravir pas à pas dans la douleur.
Puis sur un sentier de montagnes, à la sortie d’une forêt, je tombe sur un petit joyau, une pépite d’or incomparable, le village fortifié de Monteriggioni. Un coup de cœur ! J’aurai la chance d’y avoir une chambre dans un très bon hôtel à l’intérieur des remparts. Le soir, dans le café sur la place du village, ce seront les retrouvailles avec des pèlerins rencontrés au fil des kilomètres depuis le départ au col du Grand Saint Bernard. Autour d’innombrables bottiglie nous nous racontons nos aventures toute la soirée et jusque tard dans la nuit. Bonne rigolade, joyeux souvenirs ! Quel bonheur ! Encore une fois je remercie le Ciel d’apporter tant de richesse dans ma vie et de me donner tant de bonheur.
Mon ami Antonio, que j’ai doublé et redoublé depuis la plaine du Pô, m’accompagne pour cette dernière journée avant de rejoindre Sienne. Nos rencontres étaient toujours pleines de rigolades, et d’histoires absurdes comme celles que se racontent des enfants de 10 ans. Comme je marchais plus vite que lui , il me poursuivait avec des « Calma e gesso ». Mais aujourd’hui, nos conversations se font plus sérieuses, plus graves : l’heure des confidences est arrivée et je découvre que sous le manteau si drôle et oh combien fantaisiste de cet homme, se cache une souffrance abominable. Antonio, un ami pour la vie !
Alors que mon ami Antonio continue son chemin vers Rome, je file vers l’aéroport de Florence pour aller y chercher ma bien-meilleure moitié. Nous nous installons dans une superbe maison à proximité de San Geminiano pour 4 jours de repos indispensables. En voiture nous sillonnons la Toscane à la découverte de villages isolés, et pour moi la redécouverte d’endroits où je suis déjà passé à pied. Nous visitons l'incomparable Sienne, la piazza del Campo, les marbres sublimes de la cathédrale, un creuset de talents et de goût.
Au
moment où je dépose Béatrice à l’aéroport de Florence pour son vol de retour,
j’y récupère Robert, un ami de 40 ans avec qui je vais finir les 280 km entre
Sienne et Rome. En fin d’après-midi, une pasta et une bière Moretti dans un
café sur l’admirable Piazza del Campo, en forme de coquillage : Sienne
c’est le bonheur.
De plus en plus souvent les villes et les villages sont situés au sommet de pitons rocheux dont l’approche se passe dans la douleur pour grimper des dénivelés de 20%. Au bout de 3 ou 4 ascensions dans la journée, je suis exténué. Mon sac à dos me fait très mal à celle mon épaule qui ne s’était pas du tout entendue avec ma moto en plusieurs occasions il y a quelques années. Je ne marche plus qu’avec une ceinture autour du torse contre le mal de dos.
Je
suis ravi de finir ce voyage avec Robert, sa compagnie m’apporte une note bien
différente mais tellement agréable, de mes pérégrinations solitaires. L’entente
est parfaite : nous sommes sur la même longueur d’onde. A l'étape le soir, Robert me fait découvrir les aquarelles qu'il a peint pendant sa journée de marche. En plus de l'amitié se rajoute le talent. Quelle riche manière de voyager !
Bolsena
et son lac nous accueillent pour une étape : c’est magnifique. Je pourrai
y passer des semaines pour y écrire mes souvenirs de voyage dans ce beau pays.
Rome se rapproche pas à pas, le paysage change mais je redoute la traversée des banlieues, de leurs zones commerciales et pavillonnaires mais finalement nous traversons une réserve naturelle qui nous amène à la périphérie de la Città Bellissima.
Le chemin en lacet descend le Monte Mario, colline qui surplombe Rome. Au détour d’un virage, un belvédère qui offre une vue unique sur le Dome de la Cathédrale Saint Pierre. Me voilà arrivé au bout de ce voyage extraordinaire. Ce moment sublime c’est la récompense de tant d’efforts ! Ce fut un pèlerinage intérieur, un cheminement vers le cœur, un engagement spirituel et un challenge physique considérable. A cet instant une forte émotion m’étreint et j’ai besoin de quelques instants de recueillement pour assimiler ce que représente le chemin parcouru depuis 8 semaines. Moment tant attendu mais en même temps tellement redouté : la fin est trop tôt, je peux encore marcher, un mois, deux mois, un an si c’est en Italie. Je laisse derrière moi tant d’émerveillement, tant d’enchantement. Italie, pays merveilleux, riche de talents inouïs, de gentillesse et d’accueil ! Tellement de rencontres inoubliables, de paysages, d’amis et de partage ! Depuis le col du Grand Saint Bernard, 1000 km de bonheur incroyable et quelques ampoules ! Quel pays magnifique, d’une beauté simple mais exceptionnelle ! Mon arrivée à Rome se sera là, au belvédère du Monte Mario. Après des semaines de cheminement, sur les sentiers de la campagne italienne, la plupart du temps seul, la cohue sur la place Saint Pierre ne fait pas tellement mon affaire. Dieu ne m’en tiendra pas rigueur : Il était bien présent sur le Monte Mario !